La restitution de la souveraineté au citoyen : gouvernement ouvert ? – Ismael Peña-López

democratie_ouvertePermettons-nous une simplification quelque peu aberrante de l’histoire de la gestion des affaires collectives.

En Grèce, les décisions étaient directement prises par les citoyens (libres, la redondance est importante). Ils les exécutaient eux-mêmes. Cela était possible, entre autres choses, car les citoyens avaient des femmes et des esclaves qui se chargeaient des affaires domestiques et car le monde était relativement simple et les événements avaient lieu petit à petit. Nous appelons cette époque et ses institutions la démocratie grecque ou, parfois, démocratie directe, pour séparer l’exercice personnel de la participation publique de l’environnement géographique et historique du moment.

La réincarnation suivante de la démocratie, des siècles plus tard, se heurte au devoir de prendre des décisions dans un monde beaucoup plus complexe et composé de citoyens « libres » beaucoup plus nombreux qui, en plus, doivent prendre des décisions concernant des territoires plus grands et doivent donc arriver à des accords avec un nombre plus élevé d’individus. Devant l’inefficacité de ce modèle dans lequel tout est fait directement, nous avons forgé la démocratie représentative : quelques personnes et quelques institutions prennent des décisions et les exécutent au nom du reste. Parmi les nombreux autres noms, nous faisons référence à ce modèle sous le terme démocratie libérale.

L’un des grands débats que nous avons de nos jours (et que nous devrions certainement avoir avec plus d’intensité) est celui de savoir si les institutions de la politique représentative devraient être repensées. Si Internet a rendu l’espace petit et a transformé le temps en presque un soupir, si nous pouvons maintenant délibérer et coordonner différents ordres à un coût d’une magnitude inférieure à celle d’il y a quelques années, si maintenant nous pouvons décider et évaluer sans pratiquement sortir de chez nous… pouvons-nous commencer à « désintermédier » la politique ?

Toutes ces questions sont pertinentes, mais les silences sont souvent plus éloquents que les mots. Pourquoi, lorsque nous parlons de repenser la politique, nous pensons toujours au pouvoir législatif, mais seulement accidentellement au pouvoir exécutif ? Pourquoi lorsque nous pensons au pouvoir exécutif, la transparence et la reddition de comptes nous vient à l’esprit et non la prise de décisions ? Pourquoi, lorsqu’enfin, nous parlons de prise de décisions, nous parlons, seulement dans des cas extraordinaires, de restituer la souveraineté et d’agir directement sur la gestion de ce qui est public?

Le fait que nous soyons incapables de presque tout remettre en cause sauf l’Administration, que nous voyons à mi-chemin entre un monstre qui a une vie bien à lui et un château aux murailles imprenables n’en n’est pas moins symptomatique.

Alors que les collectifs de malades, de soignants et de professionnels de la santé se regroupent en communautés de pratique pour partager leurs connaissances et recommandations ou simplement pour s’accompagner, cela ne se produit pas (en général) pour l’Administration. Ni avec elle-même ni, bien sûr, entre elle et les citoyens.

Alors que nous connaissons un regain de coopérativisme (de différentes natures et modalités) en profitant des nouveaux outils de travail collaboratif, la gestion des connaissances, la création de réseau, ce qui est absolument commun par définition, la chose publique, n’est gérée ni de manière collaborative ni en profitant de l’accès au talent qui est partout, ni en brisant les murs et cloisons qui permettrait la création de réseaux de différents types et configurations. Flexibles. Liquides. Superposées. Soit, tout ce qui n’est pas une hiérarchie.

Le concept de gouvernement ouvert nous offre de nombreuses pistes concernant la direction dans laquelle la relation entre l’Administration et les citoyens serait possible d’évoluer, en matière de gestion collective et associée. Le gouvernement ouvert peut être pour l’Administration ce que la démocratie liquide peut être pour la politique.

En premier lieu, il s’agit de la matière première avec laquelle nous devons travailler. Dans le gouvernement ouvert, nous parlons de transparence, mais en réalité, le concept est beaucoup plus ambitieux de ce que le mot transparence évoque. En réalité, nous parlons de données ouvertes, d’accès à l’information primaire que l’Administration a entre ses mains (et plus précisément ce qui la génère). Nous parlons également d’empreinte législative : quel chemin a suivi l’idée d’une loi ou d’une réglementation jusqu’à sa publication dans le journal officiel ? Qui l’a décidée et avec qui a-t-elle été discutée ? Quels documents ont été lus et qui les a écrits ? Les budgets ouverts, les ordres du jour ouverts, les référentiels documentaires font parties de ces « données ouvertes » sans lesquelles il est impossible non pas de renouveler mais seulement de repenser l’Administration. Et encore mois « depuis l’extérieur ».

Ensuite, il s’agit de la participation. Participer au diagnostic, à la délibération, à la négociation. Participer, surtout, à la prise de décisions. Oui, car lorsque nous disons participer, nous voulons dire en réalité influencer, lorsqu’il ne s’agit pas de décider directement, ou au moins, de co-décider. Cette partie, si la frivolité nous est permise, est la moins importante. En fin de compte, si les institutions sont bien conçues, les personnes et la manière dont sont prises les décisions, sont des éléments qui finissent par être une conséquence directe de la conception correcte ou incorrecte de l’institution. Et la conception, autant des institutions que des politiques publiques, rappelons-nous, appartient surtout au domaine de la transparence, de l’ouverture.

Enfin, le gouvernement ouvert nous parle de collaboration. Mais de collaboration, non pas dans le sens de participation ou de codécision, qui était le deuxième point, mais de collaboration dans le sens de cogestion. L’Administration (ici, nous pourrions y inclure toutes les autres institutions de la démocratie représentative, en commençant par les partis) doit être historiquement réfractaire à cette cogestion. Il existe plusieurs raisons à cela. Parmi les raisons légitimes, on trouve celle du coût de cogestion qui est beaucoup plus élevé, en temps et souvent en ressources et le fait qu’il n’existe aucune hiérarchie, centralisée et de haut en bas. Et qu’il faut des connaissances.

Et bien, ce n’est plus le cas. Ou, plutôt, si, c’est encore le cas : il faut du temps, des ressources et des connaissances. Ce qui a changé est le coût de la confluence de ces facteurs qui est aussi élevé qu’avant la révolution numérique. Il n’est pas de zéro, évidemment, mais nous commençons à avoir suffisamment d’informations pour pouvoir affirmer qu’à long terme, et dans des environnements intensifs de connaissances, les architectures de réseau sont meilleures que les hiérarchies hautement centralisées. Meilleures dans le sens de plus efficaces.

La séquence est donc la suivante : ouvrir les données, les informations et les protocoles pour que, les personnes intéressées, connaissent les besoins, les demandes, les alternatives et les préférences qui sont à leur portée. Rendre possible, avec ces connaissances, la nouvelle élaboration d’institutions et de processus, avec la participation d’autant d’yeux, d’oreilles et de mains que possibles. Et, enfin, que ces nouvelles élaborations prennent en compte l’affluence de nouveaux acteurs pouvant assumer une partie de la responsabilité de gestion de ce qui, en définitive, est de tous.

Cela n’est pas facile. Du tout. Mais beaucoup des barrières qui nous viennent à l’esprit ont peu à voir avec la nature technique de la prise de décisions, de leur mise en œuvre et de leur gestion. Nous devrions les démasquer pour pouvoir concentrer les efforts sur ce qui représente un obstacle à la construction d’une Administration plus efficace. Plus nôtre. Plus de touts.

Ismael Peña-López
Professeur des Études de Droit et de Science Politique de l’Université Ouverte de Catalogne
Chercheur à l’Internet Interdisciplinary Institute et l’eLearn Center de l’UOC
Directeur du projet d’Innovation Ouverte de la Fondation Jaume Bofill

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